Fiona NGANDU
Pierre angulaire de la stratégie marketing et de communication de Qwincy, Fiona a évolué dans des entreprises de différents secteurs et a développé des compétences d'adaptation essentielles dans le secteur du freelancing et de la finance.
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Découvrez nos solutions en CSRDCes dernières semaines, l'actualité autour de la finance verte et des réglementations liées à la durabilité a pris une tournure inattendue. Le Premier Ministre a récemment annoncé la volonté de mettre en place un "moratoire" sur certaines réglementations, dont la CSRD et celles qui concernent la transition durable. Cette annonce a suscité de nombreuses réactions au sein des entreprises et des marchés financiers, particulièrement en Europe, où la CSRD est perçue comme un levier indispensable pour transformer les pratiques de gouvernance et de transparence des entreprises.
Alors que certains considèrent ce moratoire comme une remise en question des avancées en matière de durabilité, d'autres y voient une opportunité de réajuster les objectifs et les méthodes. Cependant, la CSRD reste une réalité imminente pour toutes les entreprises européennes, cotées ou non, qui devront bientôt rendre compte de leur impact environnemental, social et de gouvernance.
Frédéric
Bonjour à tous, nous sommes ravis d’accueillir, aujourd’hui, Emmanuel Flattet, expert en CSRD, pour un décryptage complet de cette directive et des enjeux actuels, pour les entreprises, dans le cadre de la deuxième session de notre toute nouvelle émission, "Interview d'expert", un format où nous donnons la parole à des spécialistes pour décortiquer en profondeur les enjeux et défis qui transforment le monde de la finance.
Emmanuel est expert-comptable, commissaire aux comptes, ancien associé de grands cabinets et cofondateur du cabinet Figures, un cabinet nouvelle génération s’intéressant de près aux enjeux écologiques. Nous allons l’interroger ce matin sur un sujet clé pour de nombreuses entreprises : la CSRD. L’objectif est de décrypter cette réglementation et de faire un point sur l’actualité, notamment à l’heure où plusieurs débats remettent en question son application, comme le rapport Draghi ou encore l’idée d’un moratoire envisagé par le Premier ministre pour simplifier, voire supprimer certaines obligations. Emmanuel va nous éclairer sur ces points. Commençons par le contexte, peux-tu expliquer ce qu’est la CSRD en premier lieu ?
Emmanuel
La CSRD est un règlement européen récemment entré en vigueur, dont l’application en France est progressive. C’est une obligation de reporting extra-financier qui concerne, dans un premier temps, les très grandes entreprises. Dès 2025, elles devront produire un rapport de durabilité basé sur leurs données de 2024. Pour ces structures, cet exercice est généralement moins complexe, car elles ont souvent l’habitude de ce type de reporting. Ensuite, une deuxième vague touchera en 2026 les entreprises de taille intermédiaire, qui devront déclarer des informations sur l’année 2025. Cela s’avère plus compliqué, car ces entreprises n'ont pas toujours l’habitude de produire des rapports extra-financiers. La troisième vague concernera les petites entreprises cotées, et enfin, la dernière vague en 2028 ciblera les entreprises étrangères opérant en Europe.
Frédéric
Quelles sont les ambitions clés de cette réglementation ?
Emmanuel
Les ambitions sont multiples. La CSRD ne constitue pas une réglementation isolée, mais une des composantes d’un programme politique plus large appelé le Pacte vert, ou Green Deal. Ce texte, avec d'autres initiatives, soutient l’ambition européenne de transformer l’économie vers une durabilité accrue. Plus précisément, la CSRD vise à inciter, voire contraindre (puisqu’il s’agit d’une loi), les entreprises à déclarer des informations extra-financières. Cette obligation a plusieurs objectifs : améliorer la transparence financière, inciter les entreprises à interroger leur modèle économique, orienter les capitaux vers des activités durables, et progressivement élever l’information extra-financière au même rang que l’information financière. Demain, la performance des entreprises pourrait être évaluée à parts égales entre performance financière et extra-financière. Ce processus en est à ses débuts.
Frédéric
C'est une opportunité pour les entreprises de communiquer sur des indicateurs à long terme, au-delà des indicateurs financiers souvent focalisés sur le court terme, notamment en bourse.
Emmanuel
Exactement. On s’éloigne d’une vision strictement financière pour s’interroger sur la stratégie globale. Cela dit, la CSRD fait l’objet de critiques actuellement, mais elle présente des effets vertueux pour les entreprises qui s’y adaptent. Plutôt qu’une contrainte administrative, elle constitue une opportunité stratégique. En éclairant la durabilité de l’entreprise, elle nourrit le débat stratégique et pousse à envisager des scénarios d’avenir. Par exemple, comment une entreprise pourra-t-elle survivre dans un monde à +4 degrés ? Ce type de réflexion, imposé par la CSRD, favorise l’innovation et la pérennité. Cela renforce également l’attractivité de l’entreprise auprès de ses parties prenantes : assureurs, banquiers, fournisseurs, etc. Enfin, une entreprise durable est perçue comme ayant une valeur supérieure, particulièrement dans un monde soumis aux crises.
Frédéric
La CSRD apporte de nombreux bénéfices et opportunités, notamment pour dépoussiérer la stratégie des entreprises. Cependant, elle est également perçue comme une contrainte supplémentaire. Par exemple, certains pointent du doigt le fait que d'autres pays ne sont pas soumis à des obligations similaires. De plus, le rapport Draghi relance le débat sur l'utilité de cette réglementation, allant jusqu'à envisager sa suppression. Peux-tu nous éclairer sur ces interrogations et réticences, et sur leur potentiel impact sur les avancées attendues ?
Emmanuel
Alors, c'est sûr qu'en ce moment, les « attaques » contre la CSRD et plus largement contre la charge administrative des entreprises dans un contexte de concurrence mondiale sont omniprésentes. Mais il faut relativiser. En dehors de l’Europe, certes tout le monde n'est pas soumis aux mêmes règles, mais en Europe, si. La CSRD est une réglementation à l’échelle européenne, donc elle s'appliquera à la totalité des pays de l’Union Européenne et de la même façon, puisque la transposition nationale n’a pas laissé énormément de marge de manœuvre aux pays, ce qui va permettre une véritable comparabilité au niveau européen de la performance durable des entreprises. Ensuite, pour reprendre le cas du rapport Draghi, quand on regarde ce rapport de près (et je vous invite vivement à le parcourir, il fait moins de 70 pages), il dit essentiellement qu'il faut innover et combler le retard technologique de l'Europe, qu’il faut avoir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité, qu’il faut renforcer la sécurité et réduire les dépendances. Là encore, on voit bien que c'est un rapport qui anticipe des périodes potentiellement compliquées et des crises internationales peut-être de plus en plus fortes dans les années à venir. La CSRD dont on parle actuellement se résume à l’ordre d’une page et demie sur les 70 pages que compte ce rapport. Ce passage explique qu'il y a une accumulation importante de régulations et qu'il faut les alléger. Cela étant dit, cela ne vise pas spécifiquement la CSRD, mais aussi le RGPD et l'ensemble des réglementations européennes. Le rapport Draghi recommande un allégement, avec des objectifs chiffrés, comme réduire de 25 % la charge administrative des entreprises en général, et de 50 % pour les PME. Donc oui, ce rapport évoque, entre autres, la CSRD. Pour autant, imaginer que ce texte fondamental sera rayé de la carte est improbable. Il est vrai qu'il a été déployé un peu à marche forcée avec des calendriers courts, ce qui complique les choses pour les entreprises. On peut donc s'attendre, dans les mois à venir, à des allégements, mais pas à une remise en cause fondamentale du texte.
Frédéric
Toi qui as accompagné de nombreux groupes dans la mise en place d'une stratégie RSE, notamment pour se conformer à la réglementation, pourrais-tu nous éclairer sur le déroulé du projet ? Combien de temps cela prend-t-il ? Quels sont tes conseils pour les différents types d’entreprises, sachant que tout le monde n'est pas au même degré d’intégration ?
Emmanuel
La CSRD est effectivement un projet qui nécessite du temps et qui doit se déployer en plusieurs étapes, voire des sous-étapes. La CSRD soulève déjà une question sur le bilan carbone. Soit l'entreprise l'a déjà réalisé et il est de qualité, couvrant les trois scopes, et dans ce cas, on pourra s'appuyer sur ce travail. Si ce n'est pas le cas, il faudra commencer par le réaliser, ce qui représente un projet en soi. Ensuite, la CSRD nécessite un outil de reporting. Il y a donc un projet informatique sous-jacent dans le projet CSRD, ce qui n'est pas forcément évident au premier abord (quels outils choisir, comment les déployer, etc.). Puis, il y a aussi le sujet du rapport de la taxonomie, pour lequel un certain nombre d'annexes sont attendues dans le rapport de durabilité. En réalité, la CSRD est un projet qui englobe et induit d'autres projets. Pour les entreprises devant produire leur premier rapport en 2026 sur les données de 2025, il faut s’y mettre dès maintenant. Il y a clairement une forme d'urgence, car ce n'est pas un exercice que l’on peut compresser en quelques mois si on veut le faire correctement.
Frédéric
Oui, car cela implique forcément de nombreuses parties prenantes dans l’entreprise. S’il y a une direction RSE, bien sûr, elle sera concernée, mais la direction financière également, puisque la partie reporting leur est souvent confiée.
Donc pour résumer, en termes de temps alloué au projet, tout dépend de la taille et de la maturité de l’entreprise ?
Emmanuel
Effectivement, cela dépend de la maturité de l’entreprise. Chez Figures, nous accompagnons parfois des entreprises qui sont quasiment au stade zéro, c'est-à-dire qu'elles font très peu de choses en matière de RSE, pas de bilan carbone, par exemple. D'autres, en revanche, disposent déjà d’un socle extrêmement solide sur lequel on peut s'appuyer. Mais même pour ces dernières, il y aura un projet relativement substantiel à conduire. Comme tu l’as souligné, ce n'est pas exclusivement l'affaire de la direction RSE, qui pouvait réussir à se débrouiller seule lorsqu’il s’agissait de collecter des données pour la déclaration de performance extra-financière de l'ancien dispositif. Désormais, avec la CSRD, la collecte des données est plus complexe, et donc la direction financière doit être impliquée. C'est un des effets vertueux de cette réglementation : elle permet de désiloter les services. Cela diffuse la question de la RSE et de la durabilité dans toutes les directions d'entreprise. C'est indiscutable.
Frédéric
Quelles évolutions peut-on attendre sur ce sujet à long terme, en termes d'impact global, de perspectives et d'obligations futures ?
Emmanuel
La première chose qui va se passer, notamment pour les entreprises de moins de 750 salariés, est qu'elles ont quand même la possibilité de se donner un peu de temps et donc de différer dans le temps la production d'un certain nombre d'informations, ce qu'on appelle les phases "in" ou les mesures transitoires. Ces entreprises vont monter en puissance progressivement. Ainsi, le rapport 2026 sera partiel et sûrement imparfait. On va donc observer, pendant plusieurs années, une amélioration continue de la qualité de ces rapports de durabilité. Pour beaucoup d’entreprises, il faudra réussir à sortir de ces mesures transitoires et produire un rapport de durabilité de qualité et sans réserve, car, je vous le rappelle, ce rapport de durabilité va être audité par les commissaires aux comptes. Cela va donc probablement occuper de nombreuses entreprises pendant deux à trois ans. Il y a également d'autres textes qui arrivent. J'en citerai deux :
- La taxonomie, qui n'est pas à proprement parler un nouveau texte puisqu'il est en vigueur depuis 2019, mais qui ne s’appliquait pas à toutes les entreprises. Désormais, elle s’appliquera sur la base des mêmes seuils que la CSRD. Bon nombre d’entreprises vont donc devoir s’en préoccuper. Pour mémoire, la taxonomie a pour objectif d’accélérer la transition vers la durabilité et de diriger les flux d'investissement vers des activités dites vertes ou durables. Elle permet de classer les entreprises selon plusieurs critères, comme le fait d’avoir des activités "alignées" (c'est-à-dire considérées comme vertes). Cela peut sembler simple, mais, derrière le sujet de la taxonomie, il y a un certain nombre d'analyses à réaliser pour vérifier dans le détail l'alignement des entreprises et calculer plusieurs indicateurs. Donc, avant même d’arriver à des rapports CSRD complets, il faudra d’abord s’occuper de la taxonomie dans les années à venir.
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- Le devoir de vigilance, ou le CS3D, qui est un texte voté à l’échelle européenne et en cours de transposition. Cette réglementation devrait entrer en vigueur plutôt en 2026-2027, mais nous ne connaissons pas encore exactement les modalités de transposition en droit français. Ce texte semble se rapprocher de la loi Sapin, qui concerne actuellement les entreprises de plus de 5 000 salariés.
La CS3D, en revanche, devrait concerner les entreprises de plus de 1 000 salariés. Cela signifie que des entreprises de taille beaucoup plus modeste, qui sont aujourd’hui loin de cette logique de devoir de vigilance, vont devoir construire leur dispositif de vigilance. Après la CSRD, qui est une obligation de déclarer, de reporter et d'être transparent, avec la CS3D, on entre dans une obligation de faire. Autrement dit, il ne s’agira plus seulement de déclaratif, mais bien d'une obligation de vigilance. C’est une véritable étape supplémentaire.
Conclusion
L’interview d’Emmanuel Flattet met en lumière les multiples dimensions de la CSRD : ses exigences, ses implications et ses opportunités pour les entreprises. Si cette réglementation soulève des questions et des débats, elle représente avant tout une chance pour les entreprises européennes de repenser leur stratégie et de s’aligner avec les objectifs de durabilité. Au-delà des contraintes, la CSRD et d’autres initiatives comme la taxonomie et le CS3D préparent les entreprises à relever les défis de demain, dans un monde marqué par les crises et la transition écologique. En intégrant la durabilité au cœur de leur fonctionnement, les entreprises peuvent non seulement répondre aux attentes des parties prenantes, mais aussi renforcer leur résilience et leur attractivité. Alors que l’application de la CSRD se rapproche, il est temps pour les entreprises de se mobiliser et de transformer ces obligations en opportunités stratégiques.
Cet article vous est proposé par Qwincy, leader français du renfort opérationnel et du management de transition au service des Directions Financières et Stratégiques des entreprises.
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Marie dupont
Vice-président chargé du développement économique à la communauté d'agglomération de Cambrai
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